Premiers amateurs éclairés d'Art Moderne français au Luxembourg et grands mécènes soutenant artistes et écrivains, Emile Mayrisch et son épouse Aline de Saint-Hubert ont introduit dans leur parc du château de Colpach quelques prestigieuses oeuvres des plus grands sculpteurs du début du XXe siècle. L’histoire de ce musée en plein air débute en 1920 par l’arrivée de la Pomone d'Aristide Maillol acquise en 1914 pour leur précédente demeure à Dudelange, suivie par des oeuvres d'Antoine Bourdelle, Georg Kolbe, Charles Despiau et Auguste Rodin (exposée au MNAHA en ville)
Ce parcours de sculptures créé par le Centre de Réhabilitation du château de Colpach dans son parc et salué par le Cercle des Amis propose de se replonger dans cette époque glorieuse. Il est composé de 9 stations (panneaux explicatifs numérotés) placées le long des chemins accessibles aux personnes à mobilité réduite et en accès libre 7j sur 7. Dans le Centre de Réhabilitation du Château de Colpach, l'exposition "Les Mayrisch, autour d'Europalia 1980" a été remontée et agrémentée de nouveaux documents et photographies. Les deux portraits sculptés d'Emile Mayrisch, le "Patron" comme on le surnommait, et sa fille Andrée Mayrisch-Viénot, nous accueillent à l'entrée.
Une initiative du Centre de Réhabilitation du château de Colpach
Curatrice du parcours et de l'exposition : Patricia De Zwaef
Cette croix de chemin datant du XVIIIe siècle se trouvait auparavant le long de la route à l'extérieur du parc ; elle fait partie du
patrimoine religieux de nos villages et témoigne d'une histoire locale souvent oubliée liée aux processions. A l'époque des Mayrisch, la
procession de l'Assomption traversait le parc où un autel portatif était érigé.
Habituellement le fait d'artisans locaux inconnus, les croix de chemin sont composées de 3 parties : le socle, le fût et le corps. On retrouve régulièrement, comme sur celle-ci, l'iconogaphie du christ en croix avec, de part et d'autre, la mère de Jésus et
Saint-Jean.
"Ce sont des monuments érigés occasionnellement pour marquer un lieu ou commémorer un événement. Elles résultent d'un élan de ferveur, individuelle ou collective, et sont les manifestations d’une volonté pieuse. La plupart ont une histoire très modeste et semblent n’avoir eu d’autre destination que d’appeler la bénédiction divine sur une maison ou sur un champs" nous raconte Isabelle Bernard de l'asbl d'Millen de Beckerich. L’âge d’or des croix se situe entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Elles sont souvent sculptées dans du grès lorrain reconnaissable à sa couleur typique jaune clair. Elles ont parfois été peintes, certaines laissent apparaitre des résidus de couleurs. Comme la pierre est assez poreuse et sensible aux intempéries, beaucoup se sont érodées au fil du temps et ont vu leurs inscriptions s'effacer. C'est la raison pour laquelle certaines, parmi les plus belles, sont conservées à l'intérieur et remplacées par des copies le long des routes.
Sculptrice non-figurative originaire d’Argentine, lauréate en 1948 d’une bourse, elle s’établit à Paris et travaille durant 3 ans dans l’atelier de Zadkine. Elle découvre alors les œuvres de Hans Arp, Brancusi et Giacometti. Avec d’autres, elle marque un renouveau de la sculpture à partir des années 1950. En 1961, elle obtient le Prix International de Sculpture de la 5ème Biennale de São Paulo au Brésil. Son oeuvre se retrouve dans quelques prestigieuses collections muséales : le parc de sculptures de la Fondation Gianadda à Martigny en Suisse, le Musée de sculptures en plein air Middelheim à Anvers et le Kröller-Müller Muséum à Otterlo aux Pays-Bas.
Le voyageur des Nuits est arrivée à Colpach en 1995 pour l'inauguration de la nouvelle annexe du centre de convalescence, l'oeuvre provient du parc Tony
Neuman (1902-1979) qui fut Vice-Président et Président de l'Arbed et une personnalité importante de La Croix-Rouge luxembourgeoise.
Œuvre majeure d’Aristide Maillol, " Pomone" est la déesse de l'abondance. Gardienne des arbres fruitiers et des jardins, elle forme avec les 3 autres statues - "Flore", "Printemps", " Eté" - créées entre 1908-1914, un ensemble
inspiré des ouvrages de la littérature latine classique "Les Métamorphoses" et "Les Fastes" d’Ovide. Exposée en plâtre au Salon d’Automne dès 1910, la Pomone est évoquée par le comte Harry Kessler,le mécène de Maillol, comme « le chef-d’œuvre de toute l’exposition, la seule œuvre qu’on ressente avec certitude
comme éternelle ».
Produit en seulement 4 exemplaires chez le renommé fondeur Florentin Godard avant la 1ère Guerre mondiale, ce bijou de la collection Mayrisch fait partie d’une petite édition vendue dans la célèbre galerie d’Eugène Druet à Paris. Dès 1910, le premier bronze est acquis par le collectionneur d’art russe Ivan Morozov pour décorer son palais à Moscou, accompagnant ainsi les fresques de Maurice Denis sur "L'Histoire de Psyché". Il est conservé au Musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou. La Pomone numéro 2, celle de Colpach, est acquise par les Mayrisch au printemps 1914 et livrée au Kraizbierg, leur précédante résidence à Dudelange. Elle arrive dans le parc de Colpach en 1920. En 1916, le Dr Hahnloser et son épouse achètent la 3ème fonte pour leur villa Flora à Winterthur. La 4ème fonte est entrée dans les collections de la Galerie Nationale de Prague dans les années 1920.
Dans le potager à Colpach se trouve également "Le Jeune Somali", un bronze du sculpteur allemand Georg Kolbe, membre de la Berliner Secession, association créée en 1898 regroupant des artistes intéressés par l'évolution moderne de l'art en réaction au conservatisme ambiant. Dès 1900, Aline Mayrisch écrit dans la revue L’Art Moderne sur l’exposition de la Sécession de Munich qui a inspiré la Berliner Secession. Elle est aussi abonnée à Pan la revue allemande d’art et de littérature ouverte sur le modernisme et qui se fait écho de ces mouvements sécessionnistes. Kolbe n’est certes pas un inconnnu pour Aline Mayrsich ; celui-là même qui a fait le buste en bronze du Comte Harry Kessler.
L’on apprend dans un courrier à Aline le 30 janvier 1928 qu’André Gide est allé choisir une sculpture dans l’atelier de Kolbe à Berlin parce qu’Emile Mayrisch hésitait entre deux oeuvres. Aline conviendra par la suite que ce choix fut judicieux dans le contexte franco-allemand puisque Colpach ne disposait jusqu’alors d’aucune œuvre allemande. Une petite "Kauernde" de Kolbe ornait aussi une cheminée d’un salon du château.
Ce buste date de la période faste de Kratzenberg, à l'époque où le sculpteur luxembourgeois eut le prix Grand-Duc Adolphe du CAL en 1928. Les années trente sont
également celles où Kratzenberg participe à l'Exposition Universelle de Paris en 1937 avec un bas-relief (dessin de Pierre Blanc), puis à
l'Exposition Universelle de New York en 1939/40 avec la sculpture "L'Allégorie de l'Artisanat" qui se trouve aujourd'hui dans le jardin du la
galerie Nie Liicht à Dudelange.
Il est également l'auteur de la sculpture et des bas-reliefs qui ornent la fontaine du parc Emile Mayrisch à Dudelange en place depuis 1964. La sculpture avait été initialement réalisée pour la place devant l’Hôtel de Ville d’Esch-sur-Alzette en hommage à Emile Mayrisch et inaugurée en 1932. Elle a été déplacée une 1ère fois au Kraizbierg durant la Seconde Guerre mondiale avant de trouver sa place définitive.
Le tombeau d’Emile et Aline Mayrisch a été commandé à Auguste Perret par Aline Mayrisch au décès de son époux en mars 1928. Décédée le 20 janvier 1947 à Cabris dans les Alpes-Maritimes, elle rejoindra son époux enterré dans le parc de Colpach que tous deux aimaient tant.
L’architecte Auguste Perret est une des grandes figures marquantes de l’architecture du 20ème siècle. Il a joué un rôle de premier plan dans la définition d’une
esthétique du béton armé. Son influence est considérable, tant dans ses écrits que dans son enseignement. C'était aussi un ami de la famille (voir livre d'or de Colpach).
La grille et le portail du domaine ont été réalisés par le ferronnier luxembourgeois Michel Haagen. Après avoir obtenu le prix Grand-Duc Adolphe en 1923, il a exposé au
Salon des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris en 1925. Pour le château de Septfontaines-lez-Luxembourg, Maurice Pescatore a fait appel à lui afin de remettre en
état la magnifique porte en fer forgé provenant de l'abbaye d'Orval.
Le 5 mars 1928, Emile Mayrisch décède dans un accident de voiture à Châlons-en-Champagne en route pour une réunion de travail à Paris. Peu de temps après, son
épouse commande les plans d’un domaine funéraire à l’architecte Auguste Perret avec un socle pour y placer une sculpture. Une lettre de Mme Mayrisch à Agnès Copeau datée du 7 juin 1928
précise « Perret me dessine un monument très souple – une dalle horizontale – et j’espère y trouver plus tard une œuvre d’art à y placer ».
En août 1928, Mme Mayrisch passe commande à Charles Despiau d’un sculpture pour orner la tombe de son défunt mari.Dans une lettre à Jean Schlumberger datée du 6 mars 1929, elle écrit que : « la sépulture d’Emile, achevée juste (et à grand-peine) pour l’anniversaire, est fort
belle telle que l’a conçue Perret. Et le projet de Despiau, quoiqu’encore embryonnaire, me donne les plus grandes espérances. C’est le sculpteur Dejean qui essayera d’un nouveau
buste. » Embryonnaire, certes il l'était à ce moment, car Despiau travaille encore de longues années sur ce "Réalisateur" qui ne
sera livré à Colpach qu’en 1937.
Il s'agit d'une fonte de son ami Alexis Rudier haute de près de trois mètres, présent dans le parc Colpach depuis 1925. Bourdelle s’inspire de la fresque de la Mort du Dernier Centaure, symbole du destin de l’homme artiste dans son combat contre l’existence, qu'il exécute entre 1911 et 1913 pour le décor de l’atrium du Téâtre des Champs Elysées. L’exemplaire est acquis par les Mayrisch à l'issue de la l'Exposition aux Tuileries de 1925.
On relève dans un échange de courriers entre Aline Mayrisch et l’épouse de Bourdelle que le couple a également acheté le buste d’Apollon qu’Aline avait vu dans l’atelier de l’artiste. Rien d’étonnant puisqu’Apollon est le dieu grec des arts, du chant, de la musique et de la poésie. Ce buste est intéressant à plus d’un titre car il est le symbole de la rupture de Bourdelle, praticien chez Auguste Rodin entre 1893 et 1908, avec le Maître.
Le 27 janvier 1917, Emile Mayrisch, directeur de l’ARBED, acquiert le domaine de Colpach. Entre 1917 et 1920, il fait procéder à d'importants travaux
de transformation du château par Sosthène Weis, le célèbre aquarelliste luxembourgeois. mais avant tout architecte ! Les griffons ont été ajoutés à cette époque, même s'ils sont plus
anciens. Il était courant d'adjoindre des statues d'ornement à une bâtisse de style néo-renaissance.
A l'époque du baron de Marches et de son épouse Cécile Papier, il y avait deux sphinges (buste de femme avec une tête de lion) de part et d'autre de l'escalier menant à l'ancienne
terrasse.
Les griffons, créatures légendaires (tête, ailes et serres d'un aigle greffés sur l'arrière d'un lion) ont été restaurés en 2016.
"Buste d'Emile Mayrisch" par THEO VAN RYSSELBERGHE
Bronze - fonte Alexis Rudier, circa 1925
Socle en bois dessiné par l'architecte Auguste Perret
Dans l'exposition "Les Mayrisch, Europalia 1980"
Une des rares sculptures réalisées par Théo Van Rysselberghe puisqu'il était principalement peintre. Il s'agit d'un
exemplaire unique qui a été montré du 18 au 29 mai 1925 à l'exposition de la galerie Druet à Paris. Il a ensuite été exposé du 10 au 21 avril 1926 à la galerie Giroux à Bruxelles puis encore chez
Giroux pour la rétrospective post-mortem de Van Rysselberghe en 1927.
L'artiste avait coutume de sculpter ses amis proches comme Jean Schlumberger ou encore André Gide dont un exemplaire, propriété de La Croix-Rouge
luxembourgeoise, se trouve au Musée National d'Histoire et d'Art.
Buste d'Andrée Mayrisch par Maria ZIMMERN (1887-1972)
Terre-cuite, circa 1913
Dans l'exposition "Les Mayrisch, Europalia 1980"
D’après la tenue (même robe avec col et pli), et la coupe de cheveux du modèle, il semble que ce portait ait été fait au même moment que le
portrait peint par Van Rysselberghe durant l'année 1913. L'artiste Maria Zimmern était l'élève de Van Rysselberghe à l’académie Ranson à Paris.
Maria Zimmern est née en Allemagne et a étudié à la Staedel Art Institute in Frankfurt avant de devenir un temps l'élève de Maillol. Elle a exposé un portrait de son professeur Théo Van Rysselberghe à la 17ème exposition de la Libre Esthétique de 1910. Elle expose aussi 2 pièces chez Eugène Druet en 1911 à l’Exposition du 1er groupe du 17 novembre au 9 décembre. Dans les années 30, on retrouve également de sa main un beau buste de Catherine Gide, la fille d'André Gide. Théo Van Rysselberghe a aussi peint un magnifique portrait de son élève "Mlle Zimmern" ou "Jeune fille en rouge" qu'il a montré également chez Druet.